140e Régiment d'Infanterie


Lieutenant Benoît DELABEYE

Sa très mauvaise vue aurait due lui interdire toute carrière militaire, mais Benoît DELABEYE refusa cinq fois d'être réformé !
Il est l'auteur du livre "Avant la ligne Maginot. Admirable résistance de la 1re Armée à la Frontière des Vosges. Héroïque sacrifice de l’Infanterie Française" sur les combats du 140e Régiment d'Infanterie en août et septembre 1914.
Benoît DELABEYE est né le 7 avril 1888 à Pont-de-Beauvoisin (Savoie), fils de Jean DELABEYE (militaire en retraite) et Clotilde MILLON (cafetière).
Imprimeur typographe, il use d'un premier subterfuge pour faire son service militaire malgré sa myopie.
Il est incorporé le 8 octobre 1909 au 140e Régiment d'Infanterie à Grenoble et passe caporal le 26 septembre 1910 ; il quitte le régiment le 24 septembre 1911.
Il est rappelé au 140e RI à la mobilisation le 2 août 1914.
Sa myopie aurait pu lui garantir de rester au dépôt à Grenoble et de ne pas partir au front mais il la cache une deuxième fois pour pouvoir effectuer son devoir.
Il part donc pour la frontière des Vosges et prend part aux combats de Sainte Marie aux Mines et Saint Michel sur Meurthe.
Il est nommé successivement sergent le 28 août puis Sous‑Lieutenant de réserve à titre temporaire le 6 octobre 1914.
Portrait tiré d'une photo de cadres et soldats des
140e et 340e RI et du 105e RIT

Il insiste une troisième fois pour être maintenu dans les armées combattantes et passe au 421e RI le 7 août 1915.
A la dissolution de ce régiment, il est encore menaçé d'être renvoyé à l'arrière.
Une quatrième demande, cette fois au Général commandant les Armées françaises, lui permet de rejoindre le 89e RI puis le 131e RI fin 1916.
Son dossier médical étant incompatible avec des fonctions d'encadrement d'une unité combattante, sa promotion au grade de Lieutenant à titre temporaire le 10 août 1917 s'accompagne d'un renvoi au dépôt de son régiment.
Il reçoit deux citations :
Une cinquième requête pour annuler la demande de réforme lui permet de partir en Algérie où il est affecté au 4e Bataillon d'Infanterie Légère d'Afrique le 24 novembre 1917.
Il passe au 6e Régiment de Tirailleurs Algériens le 3 novembre 1918.
Portrait tiré du livre "Avant la ligne Maginot."

En 1919, il est détaché à l'état-major d'Aïn Sefra où il devient chef du 2e bureau puis passe au 1er Régiment de Zouaves jusqu'à sa démobilisation en août 1919.
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Il se marie avec Renée MOUREAU à Alger le 1er mars 1919.
Il reste à Alger et habite 139 bis boulevard de Telemby où il devient négociant en vins.
Il obtient la Croix du Combattant Volontaire le 12 mai 1931 puis il est fait Chevalier de la Légion d'Honneur le 12 décembre 1952.
Il rentre en France aux début des années 1960, il est décédé le 14 septembre 1962 à St Germain en Laye (Yvelines) alors qu'il résidait à la Maison de Retraite Montbuisson à Louveciennes.

Lettre de 1954
Lettre de Benoît DELABEYE, envoyée d'Alger, à M. CHAPPAZ, trésorier de l'amicale des anciens du 140e Régiment d'Infanterie, s'excusant de ne pouvoir participer au banquet.
Lettre parue dans le bulletin de l'amicale de mars 1954 page 12.

Benoît DELABEYE y retrace une visite faite l'année précédente sur les lieux des combats d'octobre 1914 en Picardie puis de fin août 1914 dans les Vosges.

[…]
J'ai disposé de deux journées, afin de me rendre à Lihons, Rosières en Santerre, Quesnoy en Santerre, Chaulnes, Harbonnières.
Seul, à pied, comme il convient à un pèlerin qui visite les lieux Saints, j'ai parcouru tout le secteur que tenait la 27e Division et en particulier le 140e. Les villages sont évidemment reconstruits, mais le paysage et les lieux sont restés identiques. D'autres pommiers ont remplacé d'autres pommiers, mais les chemins de terre sont restés les mêmes ; tout est encore en place : le bois Crepey, la côte 101, la route de Chilly, la carrière où se tenait le PC du Général BLAZER, le petit ruisseau qui coule vers Rosières, la voie ferrée, etc. etc.
Que de souvenirs m'ont assailli au cours de ces heures vécues 40 années après le siège de Lihons par les Allemands, que de morts ont arrosé de leur sang les champs de betteraves et les bois qui entourent le village.
J'ai pu retrouver quelques civils survivants 40 années après, notamment des femmes (les hommes étaient aux armées en 14) une d'entre elles, qui avait 18 ans en 14, n'avait quitté Lihons que le 15 octobre 1914, se souvenait très bien de la bataille ou du moins de ses débuts. Elle habite encore le même emplacement, où se trouvait alors une habitation et une grange, dans laquelle un 210 allemand a broyé 38 hommes de la 4e compagnie dans la nuit du 21 octobre 1914.
J'ai visité la cave où se trouvait le PC du Commandant POUSSEL et enfin l'emplacement des tranchées, à la sortie de Lihons, vers Chaulnes, où je suis resté jusqu'au 15 mars 1915.
Le cimetière n'existe plus, je parle de celui des tués du 140, les corps ont été transportés, je crois à Harbonnières.
Après être resté tout un après-midi à Lihons, j'ai commandé une belle gerbe de fleurs à un jardinier, placé à l'entrée de Lihons côté Rosières et je l'ai déposé à la cote 101, ce brave homme qui m'a accompagné n'a jamais voulu que je lui paye ses fleurs.
Voilà mon cher vieux, le récit d'une très courte apparition dans les lieux où les meilleurs d'entre nous sont tombés pour la gloire du drapeau et la défense de leur Patrie.
[…]
Le Quesnoy a été reconstruit, à peu près tel qu'il était fin octobre 1914. J'ai revu l'emplacement où le 2e et le 1er bataillons étaient en tranchées, avant l'assaut et la prise du village vers les 5 heures du soir. Là encore l'émotion était très grande pour moi car je revoyais, par la pensée, le visage des camarades que je connaissais bien et qui ont été tué au cours de cette victoire, car cela en était une, pour le 140 surtout… L'attaque était menée par le Commandant DESTEZET et le Capitaine CROIBIER, qui commandait mon bataillon… Le PC du Capitaine CROIBIER était placé entre le village de Rouvroy et le Quesnoy à 200 m des tranchées allemandes (au fond d'un fossé plein d'eau profond de 1,50 m côté gauche du chemin menant au Quesnoy) mes souvenirs sont encore très précis car c'est là que je suis allé prendre ses ordres, je commandais la 7e compagnie, le Capitaine DAVIN ayant été évacué la veille.
J'ai reçu la semaine dernière, la visite de Monsieur LAXENAIRE, chef du bureau au Gouverneur Général, ce haut fonctionnaire est né à Saint Michel sur Meurthe et habite Alger depuis 5 ans.
Monsieur LAXENAIRE avait 10 ans en 1915, il a assisté à la bataille du 27 au 29 août 1914 à Saint-Michel sur Meurthe entre le 140e d'Infanterie et les troupes allemandes, inutile de dire que sa famille et lui-même étaient réfugiés dans les bois au-dessus d'Herbaville, mais de là ils ont vécu toutes les péripéties et notamment la défense du col de la Croix-Idoux.
On conserve encore dans quelques familles des objets militaires ayant appartenu à des soldats du 140e tués ou blessés.
Au cours de l'occupation allemande 1940 – 1944, la plaque commémorative, à la gloire du 140e a été respectée par les ennemis, cette plaque est toujours placée sous le porche d'entrée de l'église de Saint Michel. Chaque année aux dates du 27 ou 28 août, Monsieur le Curé ROBERT, au nom de la commune, dépose des fleurs au pied de cette plaque.
[…]
Signé : DELABEYE

Plaque Commémorative mentionnée dans la lettre çi-dessus que le Lt DELABEYE a fait apposer sous le porche de l’église de Saint-Michel sur Meurthe.

HONNEUR   DIEU   PATRIE
Le Lieutenant Delabeye
a offert cette plaque en mémoire & à la gloire de ses 620 camarades du 140ème Rég. d'Inf. Alpine (27e Division) SAVOYARDS, DAUPHINOIS tombés au Champ d'Honneur dans les sanglants combats du 27 Août au 7 Septembre 1914
Pour la défense de Saint-Michel sur Meurthe où ils ont arrêté et fixé l'invasion
Allemande sur ce point
Puisse leur exemple inspirer aux générations à venir l'Amour du Sacrifice et le Culte de la PATRIE
Requiescant in pace
Page consacrée à Pierre Marius CHABERT, soldat du 140e RI, Mort Pour La France le 27 août 1914 lors des combats de St Michel sur Meurthe.



Lettre de 1955
Lettre de Benoît DELABEYE, envoyée d'Alger le 10 avril 1955, à M. CHAPPAZ, trésorier de l'amicale des anciens du 140e Régiment d'Infanterie, s'excusant de ne pouvoir participer au banquet.
Lettre parue dans le bulletin de l'amicale de mars 1956 page 15.

Benoît DELABEYE y retrace quelques anecdotes des combats d'octobre 1914 en Picardie.

[…]
Lorsque je fus nommé sous-lieutenant le 3 octobre 1914 à Lihons, je me rendis auprès du commandant Roussel, qui commandait le régiment, son poste de commandement était placé dans une ferme, située à gauche de la route allant à Rosières, dans une cave à betterave.
On buvait beaucoup à ce poste de commandement, et lorsque je suis sorti pour rejoindre ma compagnie, la 7e (je venais de la 1ère, placée à droite de Lihons face à Chaulnes) j'étais complètement ivre.
C'est Soulat qui m'a reçu ; le capitaine était absent et retiré quelque part dans une cagna, où il était interdit d'aller le déranger sans « motif puissant », il valait d'ailleurs beaucoup mieux, pour mon prestige, que je reste dans la tranchée, c'est ce que je fis. Je crois bien avoir absorbé, chez le commandant Roussel, la valeur d'un quart de rhum, mais en plusieurs fois, donc rien de comparable à l'exploit de Bouron.
C'est avec plaisir que je lis le nom de Soulat, sur le bulletin, d'autant que nous ne nous sommes pas rencontrés depuis l'hiver 1914 !!!! Le rectificatif de Soulat est parfait c'est ce qui s'est passé à la prise du Quesnoy en Santerre. Assaut donné à 5h30 du soir, un peu tard, car à cette époque la nuit tombe vite, ce qui a occasionné un certain désordre en arrivant aux premières tranchées du Quesnoy.
Face au Quesnoy attaquait la 7e compagnie, suivi de la 5e et, en réserve la 1ère compagnie commandée par SALANIE qui occupa les tranchées le lendemain à 5 heures du matin face à Andechy.
Nous avions effectivement à la 7e compagnie enlevé 27 boches dont un Lieutenant et 2 mitrailleuses, qui furent conduits dans une carrière très peu profonde en arrière du Quesnoy, et ce à côté de la 1ère compagnie. Au matin la 1ère  s'empare de la tranchée en question face à Ardechy et ramène une trentaine d'Allemands cachés dans les caves des maisons bordant la tranchée, ces prisonniers furent dirigés sur la carrière où se trouvaient nos prises et le tout gardé et escorté par un sergent et une section de la 1ère. En arrivant à Rouvroy la 1ère compagnie déclare ses prises en y comprenant les nôtres, mais oubliant de déclarer le contingent nous appartenant et devant être passé à notre crédit, si bien que la 7e qui avait la première, en la face ouest du Quesnoy, ramassé des prisonniers n'a pas été citée à l'ordre de l'Armée.
[…]
Signé : DELABEYE