30e Régiment d'Infanterie


Livret Fête des 30e et 230e RI

EN  SOUVENIR

DU

30e RÉGIMENT D'INFANTERIE

ET DU

230e RÉGIMENT D'INFANTERIE


Fête du 17 Mai 1936
à Annecy

Inauguration d'une plaque commémorative du 30e
sur la  façade du château des Ducs de Genevois-Nemours


HISTORIQUE  DU  30e
par le Lieutenant-Colonel Tapponnier


LA FÊTE DES 30e ET 230e RI


Dimanche, par une magnifique journée à peine assombrie par la pluie vers le soir, les anciens des 30e et 230e régiments d'infanterie se sont réunis pour commémorer le souvenir de ces deux régiments savoyards et pour inaugurer une plaque commémorative du 30e sur la façade du château des ducs de Genevois-Nemours.

L'inauguration d'une plaque au Château

Plus de 300 anciens des deux régiments assistèrent à la cérémonie d'inauguration qui se déroula dans le cadre médiéval formé par la magnifique et robuste façade du vieux château. La plaque, scellée sur la droite de l'entrée, est recouverte d'un drapeau tricolore et encadrée de deux trophées de drapeaux et de vases de verdure ; une petite tribune tricolore a été édifiée et, sur l'initiative de MM. Charvin frères, entrepreneurs, les maisons d'alentour ont été abondamment pavoisées.
La fanfare du 27e BCA et une compagnie de ce bataillon, en armes, sous, le commandement de M. le commandant Chomel de Jarnieu, a pris place à proximité.
De nombreux anciens officiers des deux régiments savoyards sont présents.
Notons, au hasard de la plume, MM. docteur Gallet, sénateur, ancien médecin-major du 30e RI aux armées ; le général Santos-Cottin, lieutenant-colonel Fleury, commandant Colas ; Paul Tapponnier, ancien député ; Bègue, ancien préfet, trésorier-payeur général à Dijon ; commandant Charles Anthonioz, de l'association des officiers de réserve, à Genève, ancien du 30e RI ; docteur Cattin, président de l'Amicale du 30e RI ; commandant Anthoine, un glorieux mutilé de la face, du 30e RI ; capitaine Clerc, capitaine L. Perret, du 230e ; le R. P. Bornand, supérieur de l'Orphelinat de Douvaine ; M. l'abbé Perret, économe du collège de Thônes, ancien adjudant au 30e ; les membres du comité d'organisation des 30e et 230e ; lieutenant-colonel Colas, ancien du 30e RI ; adjudant J. Perret, du 230e ; commandant Duin, de la garde républicaine mobile à Grenoble ; commandant Pirot et commandant de Parseval, des 70e et 71e bataillons alpins de forteresse à Bourg-Saint-Maurice et à Modane, etc... MM. Germain et Grobert, président et vice-président de l'Amicale des 30e et 230e à Lyon, escortent leur drapeau.
A 9 h. 40, M. le général Duffieux arrive, accompagné de M. le général Cartier, commandant la 53e brigade d'infanterie alpine, de leurs officiers d'ordonnance et de M. le capitaine de gendarmerie Raffort-Deruttet.
On remarque MM. le chef d'escadron de gendarmerie Maunourri, capitaine Ponnet, de l'état major de la 53e brigade ; capitaine Monnet, du 27e BCA ; les officiers de la garde mobile, etc...
La sonnerie Aux Champs retentit, suivie d'un court morceau exécuté par la fanfare du 27e BCA.
Après avoir passé en revue la compagnie du 27e BCA, M. le général Duffieux vient se placer près de la plaque commémorative, accompagné du général Cartier.
M. le lieutenant-colonel Tapponnier, président de l'Amicale du 30e RI, instituteur honoraire, prend place à la tribune.
Le voile tricolore recouvrant la plaque commémorative tombe : elle apparaît sur 1 m. 80 de haut et 1 m. 50 de large ; elle est en marbre blanc et les lettres gravées peintes en bistre. En voici le libellé :

EN SOUVENIR DU 30e RI
Régiment d'Annecy et de ses ancêtres

et à la mémoire de ceux qui eurent l'honneur d'y servir
1617-1922
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Devises du Régiment :
Res proestant, non verba, fidem
Les actes, non les paroles, font la loyauté
Retrocedere nescit
Il ne sait pas reculer
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De 1617 à 1669, le 30e porte le nom de son Colonel
Anéanti à Candie 1669.
En 1669 : Recréé par Louis XIV. devient Régiment du Dauphin.
En 1775 : Fractionné en deux : Régiment du Dauphin, et Régiment du Perche,
futur 29e RI et futur 30e RI
En 1791 : 30e RI - En 1796 : 30e 1/2 Brigade. - En 1803 : 30e RI
Après 1870-1871, tient garnison à Montauban, Toulouse, Besançon.
A Annecy, en Avril 1873
Dissout le 30 juin 1922
Recréé le 16-7-35 : 30e 1/2 Brigade alpine.
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Principales actions auxquelles il a pris part :
Rocroy 1643 Valmy 1792 Eylau 1807 Crimée 1855
Turin 1706 Rome 1798 Wagram 1809 Solférino 1859
Fontenoy 1745 Marengo 1800 La Moskowa 1812 Sedan 1870
Indépendance Austerlitz 1805 Ligny 1815
Américaine 1782 Auerstaedt 1806 Alger 1830
Guerre 1914-1919
Les Vosges 1914 - Picardie 1915 - Champagne (Le Trou Bricot) 1915.
Alsace 1916 - Verdun 1916 - Roye 1917 - Chemin des Dames 1917 - La Malmaison 1917. Alsace 1918 - Mont Kemmel (Belgique) 1918 - Champagne (L'Ardre, L'Aisne, La Py) 1918. Metz 1919.


Les anciens du 30e et du 230e écoutent l'historique du 30e raconté par le colonel Tapponnier

Avec une sûreté d'information due à la connaissance parfaite du sujet, qu'il a vécu pendant la grande guerre avec un héroïsme auquel chacun rend hommage, M. Tapponnier retrace à grands traits la carrière du 30e de 1617 à 1922.

L'HISTORIQUE DU 30e RI

Mon Général,
Général Santos-Cottin, Président d'honneur de l'Amicale des Anciens du 30e
Médecin - Capitaine Cattin, Président de l'Amicale du 230e
Médecin-Colonel Gallet, Président de l'Office National des Combattants,
Lieutenant Protin, Adjoint au Maire d'Annecy,
Mes chers Camarades,
La cérémonie qui se déroule aujourd'hui, sur l'esplanade du Château, a un double but : glorifier le 30e RI, un des plus anciens régiments de France ; rendre un pieux hommage à tous ceux qui eurent l'honneur d'y servir et de verser leur sang sur les champs de bataille de l'Europe, de l'Afrique du Nord et de l'Amérique du Nord.
La plaque commémorative qui vient d'être apposée sur la façade du Château et que mes camarades du 30e et du 230e RI placent sous la sauvegarde du public annécien, a une histoire que je ne vous conterai pas. Votre Comité a dû vaincre maintes difficultés. En son nom et en votre nom à tous, je remercie sincèrement ceux qui nous ont aidé à réaliser notre dessein, et en particulier ceux qui ont arraché une autorisation qui se faisait par trop attendre. Notre reconnaissance va également à ceux qui, anciens ou amis du 30e ont mis leurs connaissances à notre disposition pour nous faire mieux connaître l'histoire du régiment dans le passé.
Merci donc au sénateur Gallet, à M. Blanchard. architecte des monuments historiques, au général Cartier, au chef de bataillon Ch. Anthonioz, à M. Joseph Serand, conservateur du Château de Montrottier.
Comme vous le verrez, la plaque présente en raccourci l'histoire du 30e depuis ses origines. Pour frapper l'esprit, nous avons dû séparer ce qui était uni et rompre quelque peu avec l'ordre chronologique. Je suis chargé de remettre les choses au point et de vous conter un peu moins  brièvement l'histoire du 30e.
Les origines du 30e remontent au début du règne de Louis XIII, en l'an 1617. De 1617 à 1669, le régiment n'a pas de nom propre, il porte le nom de son Colonel. On le trouve, en 1628, au siège de La Rochelle. Pendant la Guerre de Trente ans, il combat les Espagnols, aux Pays-Bas : 1638, siège de Saint-Omer, 1640 ; siège d'Arras, 1642, défense d'Aire où il tient les tranchées 24 jours durant ; 1643, bataille de Rocroy. Dans les premières années du règne personnel de Louis XIV, le régiment commandé par le marquis de Lignières fait partie du corps expéditionnaire envoyé en Crète sous les ordres du duc de Beaufort. Les Turcs assiégeaient Candie depuis de longues années : le régiment se couvre de gloire pendant le siège, mais est anéanti en 1669.
En 1667, Louis XIV avait créé le régiment du Dauphin qui eut pour garnison Briançon : il eut rang de régiment de Lignières ; lorsque ce régiment fut détruit en 1669, le Grand Roi recompléta le régiment du Dauphin et lui donna comme devise : Res proestant, non verba, fidem. Les actes, non les paroles, prouvent la loyauté. Le régiment du Dauphin prend part à toutes les guerres de Louis XIV. Pendant la guerre de Hollande et contre la première coalition, le régiment du Dauphin se trouve aux sièges de Maëstricht 1673, de Besançon 1674, de Cambrai et de Gand. Pendant la guerre contre la ligue d'Augsbourg, il est sur le Rhin où il défend Mayence 1689, puis aux Pays-Bas, à la bataille de Steinkerque 1692, aux sièges de Mons et de Namur. Dans la guerre de succession d'Espagne, on le trouve sur le Danube où il se bat contre les Impériaux à Hoschtedt 1703 ; en Italie, à Turin 1706 ; sur la rive gauche du Rhin, à Landau, 1713.
Sous le règne de Louis XV, le régiment participe aux trois principales guerres. Pendant la guerre de succession de Pologne, il combat les Impériaux dans la vallée du Pô, 1734. Pendant la guerre de succession d'Autriche, il combat, aux Pays-Bas, les Anglais alliés aux Impériaux ; en 1745, il est à Fontenoy, dernière victoire remportée en Europe par les armées royales avant la Révolution. Durant la guerre de 7 ans, il combat en Hanovre, entre le Rhin et l'Elbe, de 1756 à 1759, les Anglais alliés aux Prussiens. C'est sous le règne de Louis XV, vers 1740, que le régiment du Dauphin hérite d'une seconde devise qui figurait au fanion qui fut offert au 30e en décembre 1918. Retrocedere nescit. Il ne sait pas reculer.
En 1775, au début du règne de Louis XVI le régiment du Dauphin est scindé : une partie demeure régiment du Dauphin et donnera naissance au 29e RI ; l'autre devient régiment du Perche qui, 16 ans plus tard, échangera son nom contre celui de 30e RI. Le régiment du Perche fait partie du corps expéditionnaire de Rochambeau, envoyé en Amérique du Nord pour combattre en faveur de l'indépendance des Etats-Unis, 1780-1782.
La Constituante, en supprimant les provinces, avait, du même coup, supprimé les noms propres des régiments. Il fallut leur en trouver d'autres. On consulta le tableau d'ancienneté des chefs de corps : le colonel qui commandait le régiment du Perche figurait à ce tableau avec le numéro 30 : son régiment devint, en 1791, 30e Régiment d'Infanterie qui prit, en 1796, le nom de 30e demi-brigade, pour redevenir en 1803, 30e Régiment d'Infanterie.
Le 30e prit part aux guerres de la Révolution et de l'Empire. Il fait partie d'abord de l'armée du Nord : on le trouve à Valmy 1792, puis à Fleurus 1794. Il fait partie ensuite de l'armée d'Italie avec Bonaparte, puis avec Championnet.
En 1798, il occupe Rome où il cantonne au château Saint-Ange. En 1799, il combat les troupes du roi de Naples qui s'est déclaré contre la France : il se signale à la prise de Calvi, ville située à 40 kilomètres au nord de Naples, où il prend 15 drapeaux à l'ennemi.
Avec Bonaparte, 1er Consul, il passe le Grand Saint-Bernard, se trouve engagé à Marengo 1800 où il enlève un drapeau aux Autrichiens. Puis ce sont les campagnes de l'Empire : 1ère Campagne du Danube 1805, Ulm, Austerlitz où sa brillante conduite lui vaut l'inscription de cette victoire à son drapeau ; Campagne de Saxe 1806, Auerstaëdt ; Campagne de Prusse orientale 1807 : Eylau ; seconde Campagne du Danube 1809 : Eckmühl, Ratisbonne, Essling, Wagram, 2e victoire inscrite à son drapeau ; Campagne de Russie 1812 : Smolensk, la Moskowa, 3e victoire inscrite à son drapeau ; Campagne de Belgique 1815 : Ligny, dernière victoire remportée par Napoléon sur les Prussiens.
Sous la Restauration, le 30e entre en léthargie pendant cinq ans. En 1830, il fait partie de l'expédition d'Alger qui aboutit à la prise de cette ville et qui marque le début de l'occupation française en Afrique du Nord.
Sous le Second Empire, le 30e prend part à toutes les guerres engagées en Europe. Il combat les Russes en Crimée 1855 ; les Autrichiens, en Italie 1859 : il se conduit magnifiquement à Magenta, et à Solférino, 4e victoire inscrite à son drapeau. En 1870, il fait partie de l'armée de Mac-Mahon, encerclée à Sedan.
La paix signée, le 30e est envoyé de Montauban à Toulouse, puis à Besançon et enfin à Annecy où il arrive en avril 1873.
Au début d'août 1914, le 30e stationnait à Annecy, Rumilly, Thonon et Montmélian. Rapidement, il est rassemblé à Annecy. Le 5 août au matin, revue de départ au Pâquier ; le soir, embarquement pour la région d'Epinal. La 28e DI dont fait partie le 30e a pour mission d'occuper les cols des Vosges. Le régiment opère vers le col de Saales, au nord dans la vallée de la Bruche, à l'est en direction de Schlestadt : il prend pied en Alsace. Mais dès le 20 août, il est contraint de battre en retraite ; le 28, il est rejeté dans la vallée de la Meurthe ; il se bat autour de Saint-Dié. La victoire de la Marne fait sentir ses effets jusqu'en Lorraine ; les Allemands battent en retraite ; le 12 septembre, le 30e rentre à Saint-Dié. Ensuite, il passe dans la vallée de la Mortagne et se concentre à Charmes. Pendant ce mois de combats incessants, les pertes ont été cruelles : plus de 3.000 hommes sont partis d'Annecy en renfort pour combler les vides. A cette même époque, le 230e combattait à notre gauche dans la région au sud de Nancy et de Lunéville. Le 19 septembre, le régiment s'embarque à Charmes et débarque le 20, à Saint-Just en Chaussée, dans l'Oise. Il marche vers le N-E, cherche à gagner les Allemands de vitesse : c'est le début de la course à la mer. Le 24, 2 bataillons attaquent Herleville et s'en emparent au prix de pertes sévères ; le 25, le 1er bataillon est anéanti à Foucaucourt : 1.200 hommes hors de combat, en 2 jours. Le 30e remonte la rive gauche de la Somme, entre à Cappy le 26 au soir, et prend position à 5 km. à l'est de ce village. En octobre, nos lignes se stabilisent. Le secteur est jalonné, en 1ère ligne par le village de Frise, le bois de 3 bis, la sucrerie de Dompierre ; en arrière, par le bois de La Vache, Eclusier et Cappy. Un séjour de 10 mois en Picardie nous permet d'organiser le secteur défensivement. Sans la guerre de mines, très active et très meurtrière, en deux points du front, La Garenne Carpezat et les Galeries, le secteur eût été presque calme.
Fin juillet 1915, le 30e est relevé par le 414e et ramené au repos à 15 kilomètre en arrière des lignes, à Bayonvillers. Pour les non initiés, je dois préciser la signification du mot repos que j'emploierai plusieurs fois. Repos n'est pas synonyme de farniente. Le repos comporte des loisirs, il est vrai, mais aussi des exercices, des manoeuvres, des travaux d'organisation défensive à l'arrière du front. Le 5 août, départ.
Le régiment s'achemine par étapes, par voie ferrée, par autos au camp de Mailly. Pendant 15 jours, les poilus se muent en bûcherons : ils abattent des pins pour l'attaque de Champagne. Le 31 août, le 30e est enlevé en autos et transporté dans les bois situés entre la Suippe et Saint-Rémy sur Bussy. Il y bivouaque. Trois semaines se passent en manoeuvres et en travaux d'aménagements des boyaux Al à A9. Au début de septembre arrivent les casques qui, désormais, feront partie de la tenue de combat.
Le 25 septembre, à 9 h. 15, drapeau déployé, le 30e s'élance à l'assaut des positions ennemies. Deux heures après les objectifs étaient atteints : deux bataillons se déploient face au Trou Bricot ; le 1er bataillon occupe plus au nord le camp d'Eberfeld, face à la route Souain - Tahure. Notre avance dépasse 4 km. ; nous avons fait 1.500 prisonniers. Une citation à l'ordre de la 2e armée récompense ce brillant fait d'armes. Le 29 septembre, le régiment bivouaque au boyau A4 ; le 12 octobre, le colonel Santos-Cottin prend le commandement du 30e ; le 15, le régiment est ramené à l'arrière ; le 19, il s'embarque à Vitry la Ville pour Valdoie, 3 km. de Belfort, où il se repose jusqu'au 8 décembre. Le 8 décembre, départ pour la région de Dannemarie ; le 30e occupe le sous-secteur de Balscheviller, au nord du canal de la Marne au Rhin ; nos lignes sont à 7 km. d'Altkirch, 13 de Mulhouse. Le secteur est calme. Le 27 janvier 1916, nous sommes relevés : le régiment, par Valdoie et les Granges de Plombières gagne le camp d'Arches, près d'Epinal. Nous devions y manoeuvrer pendant tout le mois de février, puis nous rendre à la frontière suisse pour organiser une position défensive.
Mais le 21 février, s'allume la bataille de Verdun. Tout est suspendu. Pendant 6 jours, le canon gronde à l'ouest, jour et nuit, sans interruption. C'est un roulement continu. On sent que « ça barde ». Le 27 février, embarquement à Daunoux ; dans la nuit, débarquement à Sauvoy, près de Vaucouleurs. Le 3 mars, le régiment passe la nuit dans les péniches à Dieue sur Meuse. Le 4, il est en secteur et le 7 en première ligne à Haudiaumont - Manheulles. Nous devions rester 10 mois à Verdun et occuper successivement 4 secteurs sur la rive droite de la Meuse : 2 au pied des Hauts de Meuse, face à la Woëvre, entre les routes nationales Verdun - Metz et Verdun - Longwy par Etain; 2 sur les Hauts de Meuse au nord de la route d'Etain, jalonnés par les forts de Douaumont, Vaux, Souville, Tavannes et par l'ouvrage de la Laufée.
Au commencement de mars, le secteur d'Haudiomont était agité. La bataille de Verdun, à ses débuts, embrassait un front de 50 km., d'Avocourt aux Eparges ; l'artillerie était très active partout, même en Woëvre. Vers la fin mars, sur le front de Woëvre, l'artillerie allemande se calme peu à peu pour se taire tout à fait au début d'avril. Le 7 avril, le régiment est relevé et mis au repos à 15 km. au nord de Bar le Duc, à Marat la Grande et Marat la Petite. Le 20 avril, le 30e est enlevé en camions qui, par la Voie Sacrée, le déposent à Moulin Brûlé. Dans la nuit, à 1 heure, il entre à Verdun où il cantonne à la caserne Anthouard. Au cours des nuits du 21 au 22 et du 22 au 23 avril, le régiment en entier est en ligne à 800 mètres au sud-ouest du fort de Douaumont, sur les contrepentes nord et nord-est du Ravin de la Dame, baptisé Ravin de la Mort. Durs moments : les poilus connaissent l'enfer. Le 15 mai, le 30e est relevé et mis au repos, près de Saint-Dizier, à Savonnière et à Longeville.
Le 8 juin, retour à Ancemont, 10 km. au sud de Verdun et le 20, entrée en secteur, à cheval sur la route d'Etain : batterie de Mardi-Gras, village d'Eix, voie ferrée Verdun - Etain. Le 30e est en soutien, à 1 km. des premières lignes ; à chaque instant, il risque de s'y trouver, car la bataille fait rage. En août, le régiment passe en 1ère ligne : ferme et Batterie de Bourvaux, Bois Carré, ferme de Dicourt, La Laufée : nos lignes sont à 1 km. du fort de Vaux. L'artillerie est très active surtout la nuit. Au début de septembre, la 74e DI dont fait partie le 230e est amenée de Lorraine à Verdun et entre en secteur à nos côtés. Elle doit participer à la prochaine offensive qui nous rendra les forts de Douaumont et Vaux ; une partie du 30e lui est rattachée. Le 24 octobre, à 11 h. 40, le 30e bondit hors de ses tranchées et « au pas de course » enlève sans coup férir ses deux objectifs successifs et quel ques autres en plus ; il fait 500 prisonniers. Le soir, l'ennemi réagit avec une violence inouïe : pendant plus de 5 jours, le 30e est soumis au bombardement le plus violent que j'ai connu par sa durée et par son intensité : 22 heures et demie par jour, par obus de tous calibres. Le 30 octobre, relève et repos à Ancemont. Le 15 novembre, le 30e prend à son compte, au sud-est du fort de Moulainville, le secteur calme du bois Chena, au pied des Hauts de Meuse, face à la Woëvre. Le 27 décembre, le régiment est relevé et rassemblé près d'Houdainville. Le 28, il embarque à Dugny pour le camp de Gondrecourt, au nord de Domrémy ; 15 jours de manoeuvres, puis embarquement, le 16 janvier 1917, pour Clermont dans l'Oise.
Le 23 janvier, par un temps clair et un froid vif, des camions enlèvent le 30e et le déposent à l'est de Montdidier. Il cantonne à Cantigny et à Villers Tournelle. Après trois semaines d'exercices et de manoeuvres, le régiment prend les tranchées en face de Roye. Le 16 mars, les Allemands évacuent le saillant Roye - Noyon ; nous les poursuivons. Entrée à Roye, le 17 mars, à Ham, le 19. Le 30e remonte ensuite la rive gauche de la Somme, à la poursuite des Allemands qui retraitent sur Saint-Quentin. Ceux-ci nous contre-attaquent à deux reprises : le 22 mars, le 3e bataillon est très éprouvé, à Artemps, le 25, à Essigny le Grand, le 1er bataillon soutient un violent combat - ce sont les termes mêmes du communiqué allemand - contre la garde saxonne. Relevé le 26 mars, le 30e évolue pendant 40 jours dans la région comprise entre la Somme et l'Oise et une ligne passant par Ham, Guiscard et Noyon. C'est d'abord le repos à Villeselve et Flavy le Martel, ensuite, la mise en réserve d'armée, à Saint-Simon, puis de nouveau le repos, près de Guiscard, après le régiment est en soutien à Grand Séraucourt, enfin, repos aux environs de Noyon. Le 4 mai, le régiment traverse l'Oise et l'Aisne et va cantonner à Ambleny, près de Soissons. Le 6, il est enlevé en camions et débarqué à Perles, au nord de Fismes. Le 9, il entre en secteur au Chemin des Dames, près de Cerny. Il occupe le tunnel de Cerny et à l'ouest, les lignes comprises entre le tunnel et la Sucrerie. C'est pour le 30e la période la plus angoissante de la guerre : le régiment n'a pas seulement à repousser les attaques et contre-attaques allemandes des 11, 20 et 22 mai, du 8 au 10 juin, mais aussi la vague de défaitisme qui déferle et menace de submerger le moral de l'armée. Le 11 juin, après 33 jours consécutifs passés en 1ère ligne, le 30e quitte le secteur : son moral est inentamé, ses positions intactes. Repos de 15 jours, aux péniches de l'Aisne, à Bourg et Comin. Le 25 juin, départ en autos pour le camp de Remaugies, 10 km. est de Montdidier. Repos jusqu'au 15 juillet. Puis occupation du secteur calme de Moy sur l'Oise et du Vert Chasseur. Le 15 août, le régiment est ramené au sud de l'Aisne, à Trosly Breuil, en lisière de la forêt de Compiègne. Le 11 septembre, il est porté au nord de l'Aisne, à l'ouest et au nord de Soissons : il se prépare à la bataille de la Malmaison qui doit nous donner la position du Chemin des Dames. En octobre, il occupe, devant Laffaux, les tranchées d'où il s'élancera à l'attaque. Le 23 octobre, à 5 heures 15, par une belle nuit étoilée, le 30e part à l'assaut des positions ennemies. Il les enlève en moins d'une heure, faisant 800 prisonniers : mais nos pertes sont cruelles. Avant d'être relevé, nous ensevelissions, près du village d'Allemant, 212 de nos camarades. Le 30e est cité à l'ordre de la 6e armée. Quelques jours plus tard, il recevait la fourragère aux couleurs de la médaille militaire. Le 30 octobre, relève, retour à Clamecy, puis à Ambleny. Plus tard, séjour à Pierrefonds. Au début de décembre, le régiment stationne pour la 3e fois aux environs de Noyon. Le 16, il s'embarque pour Saint-Ouen, est du camp de Mailly où, pendant 3 semaines, par un froid sibérien, il se prépare aux campagnes futures.
Le 8 janvier 1918, embarquement pour l'Alsace, région de Dannemarie, secteur d'Hagenbach, premières lignes à Eglingen, au sud du canal de la Marne au Rhin. Trois mois de séjour à peu près calme, troublé seulement par deux coups de main ennemis et de violents bombardements au cours du dernier mois. Relevé le 10 avril, le 30e s'embarque le 12, à Montreux Vieux pour débarquer le 14 en Flandre française. Il va occuper ensuite le secteur des Monts, en Flandre belge. Le Mont Kemmel, le plus haut, mesure 30 mètres. Pour nous, Savoyards, c'est une taupinière, mais au dessus de la plaine basse des Flandres, il dresse une barrière infranchissable quand elle est défendue par des hommes résolus. Le 25 avril, vers 6 heures, les Allemands qui ont une supériorité écrasante en hommes et en artillerie foncent sur la barrière des Monts qu'ils veulent briser pour s'ouvrir la route de Calais. La barrière plie, mais ne rompt pas : l'offensive allemande échoue. Le 30e a perdu près de 2.000 hommes. Ramené au sud de Bergues, les débris du régiment quittent les Flandres le 29 pour Ecury sur Coole, près de Châlons sur Marne. Le 30e se reconstitue : il reçoit plusieurs renforts dont 1 bataillon entier du 348e RI dissous. A peine reformé, le 15 mai, il fait mouvement au nord, vers le camp de Mourmelon : il cantonne à Bouy et à Saint-Hilaire au Temple. Le 31 mai, il doit être en position au Casque et au Téton, dans les monts de Champagne. Les faits en disposent autrement. Le 27 mai, au matin, les Allemands ont emporté nos positions du Chemin des Dames et brisé toute résistance devant eux. Le 28 mai, à 14 h., la 28e DI est alertée. A 19 h. 30, le 30e fait oblique à gauche, parcourt 60 km. en 25 heures et prend position le 29 au soir, sur les hauteurs de la Montagne de Reims qui dominent la rive gauche de l'Ardre, face au nord et aux villages d'Aubilly et de Bouleuse. Sa mission est de contenir l'ennemi et de l'arrêter : ce sont pendant 8 jours des combats incessants qui atteignent le maximum d'intensité le 31 mai où le régiment perd 500 hommes et, le 6 juin, où il en perd 800. Relevé le 11 juin par la 89e RI italienne, le 30e est envoyé au repos pour 3 jours à Mesnil sur Oger, en plein vignoble de Champagne. Sa ténacité et sa bravoure lui valent une citation à l'ordre de la 5e armée.
Le 15 juin, le colonel Santos-Cottin nous quitte pour prendre le commandement de l'ID 16, tandis que le régiment s'embarquait pour Lunéville et allait occuper pendant 2 bons mois le secteur calme de la forêt de Parroy. Souvenez-vous de Rouge Bouquet, de Grande Taille, de l'Arbre Haut, du camp de New-York, de Croixmare. Au début de septembre, le 30e est rassemblé, près d'Einvaux, d'où il embarque le 7 pour l'Ile de France. Repos entre Esternay et Sézanne. Le 19 au soir, départ en autos pour le camp de Châlons. Du 20 au 25, le régiment s'achemine vers ses positions de départ. Le 26 septembre, à 5 heures 15, il marche dans les traces de la 154e DI qui attaque en première ligne. Objectifs à atteindre : la Py et au-delà l'observatoire de Notre Dame des Champs. Le régiment est relevé le 3 octobre, sur la Py et ramené à Mourmelon le Grand. Le 4 octobre, il entre dans le secteur calme de Thuisy, sur la Vesle. Le 5, à l'aube, il faut mettre sac au dos et poursuivre l'ennemi qui a abandonné le massif de Moronvillers. Nous le talonnons pendant 2 jours jusqu'à la Suippe. Le front s'étant rétréci, le 30e est mis au repos à Trépail, en plein vignoble de Champagne. Le 19, mouvement vers le Nord : nous passons la Vesle, la Suippe, la Retourne, l'Aisne et le régiment est engagé du 20 au 30 près de Château Porcien où il attaque la Hunding Stellung, dernière ligne de défense allemande. Il s'y comporte brillamment, fait 500 prisonniers le 25 octobre, ce qui lui vaut une nouvelle citation à l'ordre de la 5e armée.
A partir du 31 octobre, le 30e est en réserve puis ramené à l'arrière à Ville en Tardenois. C'est là qu'il se trouve encore à l'Armistice. Le 12 novembre, départ pour Mesnil sur Oger : repos. Le 26, mouvement vers l'Est : le 30e doit cantonner à Kaiserlautern ; en cours de route, contre-ordre : le régiment restera à Metz. Le 15 décembre 1918, il y fait une entrée triomphale. Le 7 janvier 1919, sur la Parad Place, la grande place d'armes, le maréchal Pétain accrochait au drapeau du 30e la fourragère aux couleurs de la médaille militaire. Le 1er avril, départ de Metz pour Saint-Avold. Le 20 du même mois, le 30e quitte la Lorraine annexée pour le camp de la Valbonne où il séjourne 3 mois. Le 7 août, ordre lui est donné de regagner sa garnison. Le 14 août 1919, il rentre à Annecy, après 5 ans d'absence : la population lui fait un accueil enthousiaste. Et la vie de garnison recommence. Au printemps 1922, on apprend avec amertume la dissolution prochaine du 30e. Le 30 juin, au Champ de Mars, le régiment est passé en revue, pour la dernière fois, par son chef de corps. Nombreux sont les anciens du 30e qui assistent à cette douloureuse cérémonie. Ils sont heureux de se revoir, mais leur âme est en deuil.
Le 30e est-il bien mort ? Non, il n'est qu'en léthargie. Une circulaire de M. le Ministre de la Guerre, en date du 16 juillet 1935 le ranime. Et, le 8 novembre suivant, sur la place de la Gare, à Modane, se déroulait une cérémonie émouvante, présidée par le général Dosse, gouverneur militaire de Lyon. Toutes les troupes de Maurienne étaient là.
Là aussi de nombreux anciens du 30e. Le général Dosse prenait des mains de ceux-ci le drapeau du régiment et le remettait aux jeunes du 71e BAF qui en devenaient les gardiens. Les liens de camaraderie noués au cours de cette journée n'ont fait que se resserrer par la suite. L'Amicale des anciens du 30e entretient les relations les plus cordiales avec les Bataillons de Maurienne et de Tarentaise dont les deux chefs de corps, le chef de bataillon de Parseval et le chef de bataillon Pirot sont des nôtres aujourd'hui.
Les anciens du 30e sont assurés que la 30e demi-brigade, la demi-brigade de Savoie, ajoutera encore au patrimoine d'honneur que lui a légué le vieux 30e en restant fidèle aux deux devises du régiment.

M. Tapponnier est vigoureusement applaudi.

M. le général Duffieux ne veut qu'ajouter un mot au remarquable exposé du colonel Tapponnier qui a fourni un effort énorme et lumineux de mémoire. Le général-inspecteur associe étroitement aux fastes du 30e les camarades du régiment frère, le 230e qui fut, lui aussi, pendant la guerre, un magnifique régiment.
La cérémonie se termine à 11 heures par le défilé des troupes sous les ordres du chef, de bataillon Chomel de Jarnieu, précédé de la fanfare du 27e BCA, aux accents d'une brillante marche.
M. Plazi. commissaire de police ; M. Raffort-Deruttet, capitaine de gendarmerie, assuraient le service d'ordre avec le concours de la gendarmerie et de la garde mobile.

Au monument de la Victoire

La cérémonie terminée, le détachement du 27e B.C.A. rentre à la caserne aux accents de l'entrainante fanfare, cependant que les anciens du 30e et du 230e se réunissent place Saint-François pour, de là, se rendre en un imposant cortège devant le monument de la Victoire, place du Théâtre, pour honorer leurs morts de la grande guerre.
Le porte-drapeau de l'Amicale de Lyon, escorté de MM. Tapponnier et le docteur Cattin, présidents des Amicales d'Annecy, est précédé des porteurs d'une monumentale couronne, partie en fleurs naturelles aux couleurs nationales et partie en superbes roses. Derrière le drapeau viennent les généraux Duffieux et Cartier, les diverses personnalités prenant part à la fête et la foule des anciens des 30e et 230e.
MM. Tapponnier et le docteur Cattin déposent la gerbe de fleurs au pied du monument et une minute de silence est observée.
Un clairon du 27e sonne en l'honneur des morts de la grande guerre.

Réception à l'Hôtel de Ville

Le cortège se rend ensuite à l'Hôtel de Ville où les anciens du 30e et du 230e sont reçus dans le grand salon par M. l'adjoint Protin. Ce dernier prononce le discours suivant :
En un jour comme celui que vous vivez aujourd'hui, les émotions et les sentiments s'accommodent mal des longs discours. Aussi serai-je bref.
Pour siège de la fête qui, pour la première fois, groupe les anciens des 30e et 230e RI, qui, pour la première fois, voit réunis tous les membres de cette belle et complète famille que constituent un régiment actif et son régiment de réserve, vous avez pensé à Annecy.
Je vous en remercie : mais reconnaissez que c'était un peu naturel. Annecy n'est-elle pas la ville-mère de ces deux magnifiques corps ? Annecy, - le coeur serré, - ne les a-t-elle pas vus partir tous deux au début d'août 1914 ; ne les a-t-elle pas accompagnés de ses voeux ; n'a-t-elle pas partagé leurs souffrances, comme leurs espoirs ; n'a-t-elle pas pleuré sur leurs deuils, comme elle a tressailli de joie à leurs succès ?
Annecy ne les a-t-elle pas accueillis en 19, comme ses enfants chéris, - meurtris, mais glorieux, - dont, à bon droit, elle était et sera toujours fière ?
C'est pour moi une joie toute particulière et un précieux honneur, de vous recevoir dans cet Hôtel de Ville, qui abrite sous ses portiques les plaques de marbre portant la liste si longue de vos camarades annéciens tombés pour la France.
C'est pour moi un devoir bien agréable de vous saluer au nom de M. le Maire, au nom de la Municipalité, au nom de la Ville, et de vous remercier du grand honneur que vous nous faites aujourd'hui.
Je vous dois plus de gratitude peut-être encore pour le geste pieux que vous venez d'avoir à l'égard de nos Combattants de la grande guerre, geste qui, soyez-en assurés, va au coeur de tous les Annéciens.
Messieurs, permettez au représentant de la Ville, ancien combattant lui-même, de vous souhaiter en toute simplicité, mais de tout coeur, la bienvenue dans notre Cité et de boire à la gloire des 30e et 230e RI, régiments d'Annecy, et à votre santé à tous.

M. le général Duffieux répond ainsi :
Vos paroles de bienvenue résonnent encore en moi ; une grande émotion me prend à la gorge. Dans cette vieille et coquette cité, j'ai commandé la 9e Cie du 30e; mon père y fit ses premières armes de sous-lieutenant ; il garda un souvenir délicieux d'Annecy, et il revint en 1906 dans cette ville où il fut terrassé par un mal contracté en Algérie. Des liens très chers, familiaux et professionnels, m'attachent à ce beau coin de Savoie. Les combattants des 30e et 230e vous remercient. Monsieur l'adjoint, d'avoir été reçus à l'Hôtel de Ville ; le 30e est attaché à son foyer ; ces liens ne se dénouent pas, ils se sont resserrés par plus de 4 années de gloire et de souffrances.
Au nom des 30e et 230e de leurs glorieux morts et de leurs survivants, je lève mon verre à la ville d'Annecy, ce joyau de la Savoie devenue bien française en mêlant le sang de ses fils à celui de tous les Français pour la défense de notre patrie immortelle. J'associe à ces toasts les commandants Pirot du 70e et de Parseval du 71e régiments alpins de forteresse. A votre santé à tous, au 30e au 230e à la ville d'Annecy.

On trinque joyeusement après avoir applaudi ces deux discours.

Le colonel Fleury a reçu du camarade Boccard, d'Annemasse, habitant Epinal, un peu de terre du cimetière de Reillon, en Lorraine, où dorment de nombreux soldats du 230e ; il y a relevé les noms suivants :
109 Dupont Jacques (230e).
253 Bouvard Claude (230e).
191 Borgnana Martin.
95 Bastard-Rosset (230e), 22e Cie.
712 Aublant Gabriel (230e), 17e Cie.
Le colonel Fleury remet cette terre et cette liste à M. l'adjoint d'Annecy qui répond ainsi :
Mon colonel, je reçois avec émotion ce don sacré qui sera déposé dans une salle du musée.
M. le général Duffieux. - La Lorraine et la Savoie seront par là associées.

Le Banquet

A 1 heure, 300 convives sont réunis dans la salle des fêtes du Casino où un menu très bien préparé leur sera servi.
M. le général Duffieux préside, entouré de MM. lieutenant-colonel Tapponnier, président de l'Amicale du 30e RI ; docteur Cattin, président du 230e RI ; général Santos-Cottin, président d'honneur de l'Amicale ; général Cartier ; Protin, adjoint au maire d'Annecy ; docteur Gallet, sénateur ; Multrier, président de l'Association des 30e et 230e à Paris ; lieutenant-colonel Fleury, de l'Association des officiers de réserve à Genève ; chef de bataillon Pirot, commandant le 70e BAF, à Bourg-Saint-Maurice ; chef de bataillon de Parseval, commandant le 71e BAF, à Modane ; Clerc, vice-président de l'Amicale du 30e et président de l'Amicale du 97e RI ; chef de bataillon Chomel de Jarnieu ; chef de bataillon Class Colas ; commandant Anthoine, du 30e RI ; chef de bataillon Duin, commandant de la garde républicaine mobile à Grenoble ; commandant Charles Anthonioz de l'Association des officiers de réserve à Genève ; capitaines Cuvet, Monnet, du 27e ; capitaine Louis Perret, du 230e ; capitaine Saraut, du 27e ; Germain et Grobert, président et vice-président des Amicales des 30e et 230e de Lyon ; capitaines Ritz, Meynand, Guillot, Verrier ; lieutenant Boccard d'Epinal ; Barlet ; capitaine Beauquis. Joseph Perret, Paturel, M. et Mme Favre, MM. Armand, Bouvier, Métral, etc..
Au dessert, le lieutenant-colonel Tapponnier prononce le discours suivant :
Mon Général, mes chers Camarades,
Je suis heureux de constater que notre fête de la camaraderie et du souvenir a pleinement réussi. L'animation, la bonne humeur, la cordialité qui règnent en souveraines à notre banquet en fournissent la preuve.
J'ai à présenter les excuses et les regrets de nombreux camarades qui n'ont pu se rendre à notre banquet. En particulier, celles du général Garchery, nouveau Gouverneur militaire de Lyon, ancien commandant de la 5e Cie du 30e du général Riotor, de Tours, ancien commandant de la 12e Cie, du lieutenant-colonel Baldoni, commandant de la 30e 1/2 brigade alpine, à Modane, etc...
Je remercie les anciens du 230e et du 30e d'avoir répondu en aussi grand nombre à l'appel de leur Comité.
Je remercie nos invités qui nous ont fait l'honneur et l'amitié de venir parmi nous en camarades.
Je remercie tout particulièrement le général Dufieux, ancien commandant de la 9e Cie du 30e de 1905 à 1907, ancien commandant d'une brigade de la 77e D. I. pendant la guerre, membre du Conseil supérieur de la Guerre, inspecteur général de l'infanterie, d'avoir bien voulu assister à notre banquet et présider notre fête. Le témoignage d'affection et d'estime qu'il donne ainsi à ses camarades du 30e et du 230e RI, les touche profondément. Le général Dufieux est un fantassin, je dirai même qu'il est fantassin dans l'âme en raison des fonctions qu'il exerce, et je suis persuadé que son affection pour le fantassin n'a fait que croître avec le temps, parce que le général Dufieux connaît mieux que personne le rôle de l'infanterie au combat et sait mieux que personne que dans la bataille, c'est l'infanterie qui « trinque » le plus, et que c'est de sa valeur, qu'en fin de compte, dépend la victoire.
Mes chers camarades, depuis plusieurs années je songe à vous conter une histoire de guerre, qui me permettrait de vous faire revoir par la pensée quelques-uns des champs de bataille où le 30e a combattu et où 4 chefs de section de la 5e Cie figuraient comme acteurs.
Rassurez-vous, je ne mettrai point mon dessein à exécution aujourd'hui ; je vous donnerai seulement le schéma de cette causerie éventuelle. Le 18 octobre 1914, le 2e bataillon du 30e appuyé sur sa gauche par les 62e et 11e bataillons de chasseurs alpins attaquait le Bois Etoilé, au sud d'Herleville. La 5e Cie occupait l'extrême droite du dispositif d'attaque : 2 sections en 1ère ligne, 3e et 1ère sections ; 2 sections en seconde ligne, l'une derrière l'autre, en échelons débordant à droite, 2e et 4e sections. A 14 heures, nous partons à l'attaque ; le terrain est plat, presque entièrement découvert, et nous progressons par petits paquets et par bonds, vers une ligne de coteaux qui barre l'horizon et où s'étage le Bois Etoilé. Les balles sifflent, piaulent, claquent à nos oreilles, passent au-dessus de nos têtes ou se fichent en terre. Après deux heures de cette gymnastique, l'artillerie ennemie entre en action, nous prend en fourchette et nous cloue au sol, dans les betteraves ou sur le gazon.
Onze mois plus tard, le 25 septembre 1915, en Champagne, le chef de la 1ère section était mortellement blessé, comme nous arrivions sur nos objectifs ; huit mois après, le 12 mai 1916, à Verdun, au Ravin de la Mort, le chef de la 3e section était mortellement blessé. Dix mois et demi plus tard, le 22 mars 1917, à Artemps, 10 kilomètres sud-ouest de Saint-Quentin, le chef de la 2e section était mortellement blessé. Treize mois après, le 25 avril 1918, au Mont Kemmel (Belgique), normalement le chef de la 4e section aurait dû être mortellement blessé. Il n'en fut rien, car à cette date, le chef de la 4e section se trouvait en convalescence.
Mes chers camarades, je vous prie de vous recueillir en souvenir de mes trois camarades, de nos trois camarades, chefs de section à la 5e Cie du 30e tombés en première ligne, en Champagne, à Verdun, en Picardie, en 1915, 1916 et 1917 : en souvenir de nos camarades, morts pour la France, entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918 ; en souvenir de nos camarades, anciens combattants qui, depuis, les ont rejoints dans la tombe.
Je lève mon verre à l'armée française où vous avez tous servi avant et pendant la guerre, où quelques-uns servent encore actuellement, où un certain nombre d'entre vous serviraient encore demain si la patrie était en danger. La tête de l'armée est représentée ici par le général Dufieux qui, actuellement, est un de nos grands chefs. Invinciblement, mes souvenirs me reportent à près de 20 ans en arrière, à l'époque où un autre grand chef commandait à Verdun. Après la puissante attaque allemande du 23 juin 1916, où l'ennemi fonçant sur nos lignes avec 100.000 hommes, répartis sur un front de 10 km., voyait son effort brisé, le général Nivelle, dans un ordre du jour émouvant adressé aux poilus de la 2e armée, lançait cet appel : Vous ne les laisserez pas passer, mes camarades. Me tournant vers le général Dufieux. je lui dis : Mon général, demain comme hier, ce même appel serait entendu.
Je lève mon verre à la France, grande nation pacifique, qui ne demande qu'à vivre en paix avec ses voisins et avec tout le monde, mais qui sait qu'elle peut compter sur l'amour de ses enfants pour assurer son indépendance et garantir l'intégrité de son territoire.
Mes chers camarades, je bois à votre santé, à celle de vos familles et aux amicales soeurs des 230e et 30e RI.
Ce discours est vigoureusement applaudi.
Le médecin-capitaine Cattin, président de l'Amicale du 230e excuse MM. Montreil, Espinasse, chanoine Beardier, Dr Vestral, Phulpin, capucin père Sylvestre, Ed. Berrut, chanoine Rochon, et prononce le discours suivant :
Mon Général, Mesdames, Mes chers Camarades des 30e et 230e régiments,
L'an dernier, à la réunion du 230e à Evian, j'avais accepté, au nom de nos camarades d'Annecy, que le banquet eût lieu dans notre ville, vers le 15 mai : vous voyez que nous avons tenu parole.
Au cours des réunions précédant la fête d'aujourd'hui, nos amis du 230 m'ont chargé du redoutable honneur de vous faire un discours, mais aussi, ils m'ont procuré un agréable plaisir, celui de vous recevoir et de vous saluer, vous tous qui êtes venus si nombreux à cette journée de fête et de souvenir.
Vous êtes venus nombreux, et vous avez bien fait, car c'est la première fois, depuis la guerre que nous avons l'occasion de voir réunis les anciens des 30e et 230e ces deux solides régiments de Savoie qui ont si bien fait leur devoir.
La préparation en a été facilitée grâce au colonel Tapponier, que je suis heureux de remercier ici. J'ai pu ainsi apprécier son affabilité, son empressement, et son sens de l'organisation. Vous avez pu vous rendre compte, ce matin, de sa science de l'histoire, sa précision dans le souvenir des hauts faits, des menus faits et de tous les acteurs de cette longue campagne de 1914-18.
Avant de parler plus longuement du but et de la valeur de cette réunion, vous me permettrez de remercier et de saluer en votre nom M. le général Dufieux, membre du Conseil supérieur de la Guerre.
Le général Dufieux n'est pas un inconnu ni à Annecy, ni au 30e :
Il a commandé, avant la guerre, la 9e Cie du 30e : il a ainsi passé quelques années de sa brillante carrière dans notre vieux régiment où il a laissé le souvenir d'un officier distingué, marquant et ce qui ne gâte rien, d'un officier juste, et attentionné pour ses hommes. Cela, les anciens du régiment sont bien placés pour en témoigner, et le cours mérité des événements de sa carrière le prouve surabondamment.
Le général Dufieux n'a pas craint de venir à la hâte de Paris et de prélever un dimanche sur son temps qui est si précieux, pour assister à cette cérémonie. Nous l'en remercions bien vivement, et sommes heureux qu'il soit venu présider cette réunion et nous apporter le réconfort de sa haute autorité.
C'est à la préparation et l'instruction des réserves que nous devons l'absence du général Dosse. Il avait prévu depuis longtemps une journée d'instruction des officiers et sous-officiers, à Valence, ce même 17 mai. Qu'il me soit permis de regretter avec vous tous cette fâcheuse coïncidence qui nous prive de la présence du général Dosse. En votre nom à tous, j'adresse au général Dosse nos regrets de ne pas le voir au milieu de nous aujourd'hui, et de le voir quitter le XIV Corps, où il laisse une empreinte si profonde, si heureuse et si personnelle, regrets heureusement atténués par le fait qu'il va vers de plus hautes destinées.
Nos remerciements vont également au général Cartier, qui a fait tout pour l'organisation parfaite de la manifestation de ce matin, et en rehausser l'éclat par la participation d'une compagnie - dont je salue le capitaine - et la fanfare du 27e Bataillon de Chasseurs.
D'une fête en général toute intime, il en a fait une belle cérémonie patriotique et nous en sommes heureux.
Je remercie également M. le Maire de la ville d'Annecy, qui a bien voulu recevoir si agréablement à l'Hôtel de Ville les anciens du 30e qui a tenu garnison si longtemps à Annecy, et ceux du 230e formé à Annecy pour la guerre, deux régiments à base de Savoyards, et surtout à esprit savoyard 100 %, esprit qui s'est maintenu malgré les apports d'autres éléments venus en renfort pour compenser les coupes sanglantes que le feu avait faites.
Le commandant de Jarnieu, arrivé depuis peu à Annecy, a droit à notre gratitude : nos remerciements vont également à ces deux chefs éminents et nous souhaitons la bienvenue au commandant De Jarnieu, après avoir adressé au commandant Molle notre meilleur souvenir et nos voeux.
Notre camarade Bocard a eu la pieuse pensée de recueillir un peu de terre sacrée sur les champs de bataille où le 230e a versé son sang et montré sa valeur ; cette terre a été déposée à la Mairie d'Annecy pour rappeler à nos successeurs les sacrifices de leurs anciens. Nous confions cette terre à la Municipalité, comme ce matin, nous lui avons confié la garde de la plaque apposée sur le Château.
Mesdames, qui êtes venues si nombreuses, je vous félicite d'avoir accompagné vos maris, et vous remercie d'avoir bien voulu apporter le charme de votre présence à cette réunion qui, sans vous, serait un prétexte à giberner à perte de vue.
Vous me permettrez de remercier tous nos camarades des deux comités d'organisation qui se sont bien épaulés et qui ont rivalisé pour la mise en train de cette bonne journée. Parmi eux, il m'est agréable de signaler particulièrement les camarades Perret et Garin ; ils se sont associés pour créer et exécuter le programme que vous avez en main. Vous pouvez vous rendre compte que le résultat est parfait.
Vous voyez que le brave poilu a été bien servi par le ravitaillement, mais sûrement moins bien que nous qui venons d'être traités par le camarade Paccard, le sympathique artilleur dont le P.C. est immuable au Casino.
Si le menu d'un dîner de soldats doit être abondant, aux dires de Paccard, vous montrerez par vos applaudissements que vous le remerciez aussi bien qu'il vous a servis.
Mais, me direz-vous, pourquoi cette réunion ? C'est un peu le fait du hasard qui a voulu que la réunion du 230e fût organisée cette année à Annecy, après d'autres villes du département. Et le 30e qui se réunit toujours à Annecy avait décidé de faire apposer sur le Château une plaque relatant l'historique et les hauts faits du 30e. Il était nécessaire de placer ce souvenir sur le Château, seule ancienne caserne de ce régiment qui persistera après la disparition de cette chère vieille chose qu'était la caserne Decouz.
L'idée de faire cette réunion commune fut acceptée aussitôt.
Car il fallait que tous ceux des anciens des deux régiments qui, pour beaucoup ont servi au 30e fussent présents pour commémorer les hauts faits du 30e et se rappeler les noms des victoires inscrits au Drapeau.
Vous voyez que le hasard fait bien les choses ; les deux régiments n'avaient pas été réunis depuis septembre et octobre 1916, où ils se trouvaient côte à côte sur le tragique champ de bataille de Verdun, devant le fort de Vaux.
Il fallait également que tous soient réunis pour honorer la mémoire de tous nos camarades disparus à la guerre, ou depuis la guerre, de blessure ou de maladie.
Il fallait aussi que nous soyons plus nombreux pour nous rappeler, pour ne pas oublier les enseignements de l'histoire de la guerre, faire le possible et l'impossible pour en éviter le retour. Mais, pour cela, il faut d'abord être unis, se rappeler la devise Unis comme au front, se serrer les coudes.
Et puis, il faut prévoir, se préparer, étudier.
C'est à cette préparation que s'emploient, avec dévouement et autorité tous nos chefs et nos camarades de l'armée active, en particulier à Annecy le général Cartier et tous ses officiers. Qu'ils veuillent bien trouver ici le remerciement de tous nos camarades de l'armée de réserve et de moi-même.
En suivant le défilé de ce matin, je n'ai pu oublier les conditions si différentes des défilés du 30e auxquels j'ai participé :
5 août 1914 : immense défilé de tout le 30e de ses 3.000 hommes enthousiastes, calmes, décidés à défendre la patrie attaquée ;
14 août 1919 : retour triomphal et couvert de fleurs du Régiment appauvri mais vainqueur ; souvenir inoubliable mais assombri par la pensée des si nombreux camarades qui ne sont pas revenus. Il est regrettable que le 230e n'ait pas été admis à pareil honneur, ayant été démonté petit à petit par la démobilisation par échelons ; seul notre glorieux drapeau a eu cet honneur le 30 avril 1919.
C'est donc pour inscrire sur la pierre l'historique du 30e RI, c'est pour se réunir, s'unir, c'est pour honorer la mémoire de tous nos camarades disparus que cette réunion a été rêvée, décidée et exécutée. Nous espérons que vous en emporterez tous un bon souvenir, et que nos modestes efforts n'ont pas été inutiles.
Mes chers camarades, excusez ce discours un peu long, un peu aride et sérieux peut-être, mais je considère comme un devoir de vous dire tout cela. Et vous penserez avec moi qu'un officier a plus de devoirs que de droits.
Pour compenser, vous entendrez tout à l'heure des paroles plus éloquentes et plus autorisées que la mienne.
Et quand on vous aura demandé de saluer de nouveau nos morts pendant l'espace d'une minute d'un silence religieux, vous passerez enfin à la partie agréable de cette réunion, au moment où les bons chanteurs, les fins diseurs de français et de patois vous charmeront de leurs chansons et de leurs poèmes.
Des applaudissements répétés soulignent ce discours.
Le lieutenant-colonel Fleury prononce le discours suivant :
C'est encore au nom des anciens du 230e RI que je prends la parole. Bien que notre ami le Dr Cattin ait dit déjà tout ce qu'il y avait à dire, je la prends, non pas comme lieutenant-colonel, mais comme l'ancien capitaine de la 24e compagnie du vieux régiment dont nous fêtons aujourd'hui le souvenir.
Je veux à mon tour saluer toutes les autorités civiles et militaires qui honorent cette réunion de leur présence. A toutes je tiens à exprimer en premier lieu nos sentiments de respect pour leurs personnes et pour les fonctions qu'elles exercent au nom du pays. Je veux leur dire ensuite notre gratitude pour la sympathie et l'intérêt qu'elles nous manifestent Elles nous montrent, en effet, par leur présence qu'elles jugent à sa valeur le rôle des A.C. qui sont une des réserves de force vive de la Nation.
Je veux également remercier les organisateurs de cette fête du souvenir. Quiconque - et c'est mon cas - a une expérience personnelle de la somme de réflexions et de travail, de démarches et de fatigue que représentent la conception et la réalisation d'une réunion comme celle d'aujourd'hui, doit payer un juste tribut d'hommage à ceux qui se sont ainsi dévoués. Aux chefs, et aux exécutants, sans en oublier aucun, sans en excepter surtout le restaurateur et son personnel à qui nous devons cet excellent repas et cet excellent service j'adresse un très sincère merci.
Je voudrais dire spécialement aux organisateurs combien leur idée de réunir les anciens du 230e et du 30e RI a été une idée intelligente et heureuse et combien il serait désirable que cette première réalisation fut le début d'une tradition et qu'à l'avenir les anciens des deux régiments continuassent d'organiser en commun le banquet annuel. Quand le nombre de ces anciens était encore considérable il pouvait y avoir des inconvénients à organiser un rassemblement unique ; mais hélas, chaque année qui passe fauche dans nos rangs et il n'y a plus à craindre de difficulté de ce côté ; l'expérience d'aujourd'hui le prouve amplement.
La réunion des deux régiments est d'ailleurs justifiée par leur histoire. Le 30e est le père du 230e. Nombreux sont ceux qui, au cours de leur carrière militaire sont allés de l'un à l'autre. Moi même j'ai fait mes périodes au 30e ; dans cette vieille caserne Decouz aujourd'hui disparue. A la mobilisation je commandais une compagnie du dépôt du 30e avec des éléments de laquelle j'ai fait quelques jours de campagne dans les Vosges, à Saint-Dié, avant de rejoindre le 230e en septembre 1914 en Lorraine. Je suis sûr que mon expérience personnelle n'est pas unique et que d'autres camarades en ont une semblable. Le banquet commun traduit très heureusement cette communauté d'origine et de souvenirs. Je souhaite donc que l'initiative prise cette année soit continuée dans les années futures.
Cette réunion annuelle, mes chers camarades, quel est son but ? Pourquoi nous imposons-nous de nous rendre, année après année au rassemblement ? Oh ! sans doute il y a d'abord le plaisir bien naturel de retrouver de vieux camarades. La camaraderie est un sentiment spécifiquement militaire ; c'est une des plus belles caractéristiques de la vie militaire. Rien ne rapproche plus les hommes que d'avoir souffert ensemble. La vie ordinaire divise car la vie ce sont les intérêts égoïstes ; c'est pourquoi d'ailleurs on dit : la lutte pour la vie ; mais l'armée n'est pas un groupe d'hommes qui luttent les uns contre les autres ; c'est la masse des enfants d'une même terre qui luttent ensemble pour la défendre contre un envahisseur. L'effort en commun de tout un peuple pour sa défense est le meilleur ciment humain. C'est pourquoi, quand nous sommes en présence les uns des autres dans nos réunions, tous les souvenirs de cette solidarité étroite qui nous unissait jadis sur les champs de bataille nous reviennent en foule. L'impression atroce et terrible de certaines heures s'est éteinte avec le temps, s'est déposée comme une lie horrible dans le vase de notre mémoire ; à sa surface ne demeure quand nous nous réunissons que le clair et chaud souvenir des années où, libérés de toute concurrence égoïSte les uns à l'égard des autres, nous n'étions que les fils d'une même patrie dressés d'un seul élan pour la sauver.
Mais je crois qu'au fond de nos coeurs, il n'y a pas, quand nous nous réunissons, que cette seule résurrection du passé, il n'y a pas que le plaisir d'échanger et de faire revivre de vieux souvenirs. Ou plutôt ce plaisir s'accompagne, plus ou moins obscurément, du besoin de trouver dans le passé espérance et réconfort pour le présent qui nous enveloppe et pour l'avenir inconnu qui est devant nous.
De cette espérance et de ce réconfort nous avons grand besoin car depuis des mois chaque jour nous apporte la nouvelle d'événements graves, d'événements qui nous montrent que cette paix que nous avions cru assurer pour toujours à nos enfants, reste précaire et menacée.
Est-il besoin que je rappelle ces faits ? réarmement de l'Allemagne ; dénonciation par l'Allemagne de Locarno ; réoccupation de la Rhénanie ; affaiblissement croissant de la S.D.N. ; relâchement pour ne pas dire plus de certaines de nos amitiés. Voilà le bilan d'une situation extérieure extrêmement sérieuse, la plus sérieuse depuis la guerre. Ces traités et ces pactes déchirés ou affaiblis étaient des éléments constitutifs de notre sécurité. Nous étions même tentés parfois d'y voir l'essentiel de cette dernière. Nous voyons aujourd'hui, d'une façon brutale mais claire, que l'essentiel de notre sécurité c'est notre puissance morale et matérielle, car celle-là est dans nos mains ; le reste dépend des autres et peut toujours nous échapper.
Nous avons multiplié depuis quinze ans les traités et les pactes de sécurité collective par le jeu de l'assistance mutuelle et nous avons eu parfois la tentation de croire que cette avalanche d'écritures et de papiers avait en soi la même valeur pour notre sécurité qu'une bonne armée, une bonne aviation, une bonne marine. Dans l'Etat présent du monde c'est une illusion, honorable sans doute, mais une illusion même au regard de l'assistance mutuelle.
Un traité d'assistance mutuelle est un engagement de réciprocité entre deux ou plusieurs parties. Que vaut cet engagement ? Exactement rien si les parties n'ont ni la volonté ni surtout les moyens de le tenir. Si la France veut que d'autres Etats s'engagent à la secourir si elle est attaquée, ce que tous nous désirons, il faut que sa politique satisfasse absolument aux trois conditions suivantes : 1° elle doit montrer clairement sa volonté de se défendre personnellement, car on ne va pas au secours d'un peuple qui s'abandonne. On ne peut pas demander à un peuple étranger de venir se faire tuer pour défendre notre indépendance que nous ne défendrions plus ; 2° il faut que la France montre clairement sa volonté de tenir ses engagements. L'assistance mutuelle est réciproque. Je t'assiste si tu m'assistes. Ne compte plus sur mon assistance si, lorsque j'étais en danger tu n'es pas venu à mon secours. Lisez à ce propos le discours prononcé jeudi par le chef du gouvernement anglais ; 3° enfin et surtout il faut que la France ait les moyens matériels et moraux de sa défense personnelle et de ses obligations d'assistance. Cette troisième condition est capitale, essentielle. Sans elle, la meilleure volonté du monde restera sans vertu. Aucun Etat ne se liera avec un peuple qui n'aura pas préparé ses moyens d'action. Son impuissance détournera de lui les intérêts et même les amitiés, car on verra dans cette impuissance un indice d'abandon et un manque de sincérité car, comme dit le proverbe : Qui veut la fin doit vouloir aussi les moyens. Quand le chien se jette sur un mouton, celui-ci bêle ; c'est tout ce qu'il sait faire, mais ça n'arrête pas le chien. Ce qui arrête le chien c'est le courage du berger et le gourdin manié par ses mains robustes. Voilà ce qu'enseigne la vie et l'expérience : le reste n'est que rêverie.
Et voilà comment, mes chers camarades, nous sommes fatalement amenés, dans nos réunions, à puiser dans le souvenir des grandes épreuves que notre pays a subies des leçons, mais ajoutons-le aussi des espérances pour l'avenir. La paix est le privilège des forts. Mais la force a deux aspects : la force matérielle et la force morale. La première est une question de mécanique et de richesse ; c'est la plus simple à acquérir et à conserver. Je crois que nous l'avons : nos armes, nos forteresses, nos avions, nos navires sont nombreux et puissants. La seconde, la force morale est plus importante. Elle est faite de volonté. Cette volonté puise son énergie dans la conscience de la grandeur passée du pays ; dans la conscience de ses ressources présentes ; dans la conscience de ses responsabilités et de son rôle dans le monde, dans la foi dans ses destinées. La France entière a pour devise la devise de sa capitale, la devise de Paris que vous connaissez bien : un navire ballotté par les flots sous lequel figurent ces mots : Je flotte mais ne sombre jamais. Gardons cette devise présente à nos yeux et gravée dans nos coeurs. Elle fait pendant à celle qui fut la nôtre pendant la guerre : tenir. Elles expriment toute l'énergie de notre race : l'énergie de nos aïeux, notre propre énergie il y a vingt ans ; l'énergie de nos fils aujourd'hui.
C'est dans cet esprit, dans cette espérance, que je veux maintenant mes chers camarades, vous inviter à lever vos verres en l'honneur des autorités ici présentes, à la glorieuse mémoire de nos deux régiments, à la mémoire de tous ceux qui ont servi et qui sont morts dans leurs rangs, à la France immortelle, pacifique mais puissante.
Ce discours est vivement applaudi.
M. le général Duffieux clot la série en s'exprimant ainsi :
En me levant pour prendre la parole, je dois vous dire que j'ai conscience de mon indignité à occuper la place que vous m'avez donnée. Il y a ici de nombreux anciens combattants des 30e et 230e RI. Or je n'ai pas combattu dans vos rangs pendant la guerre, les circonstances ont même fait que je n'ai jamais rencontré ni l'un, ni l'autre de ces glorieux régiments. Vous avez voulu cependant m'accorder le grand honneur de présider les cérémonies d'aujourd'hui, en vous souvenant que j'avais jadis commandé la 9e Cie du 30e. C'est un faible titre, mais en ce jour je le considère comme plus important que celui d'Inspecteur général de l'infanterie, puisqu'il me vaut d'être parmi vous et d'évoquer des souvenirs qui me sont restés chers : en ce beau coin de Savoie j'ai laissé en 1907 une part de mon coeur de soldat, et je le retrouve aujourd'hui avec autant d'émotion que de joie.
Mes premiers mots seront donc pour vous remercier, et particulièrement votre Président, de m'avoir procuré l'occasion de me retremper pour quelques heures dans cette ambiance savoyarde, que la nature et les hommes ont faite si sympathique.
Les hommes ! comment les aurais-je oubliés ! Ils m'ont donné tant de satisfactions, ces jeunes Savoyards calmes, disciplinés, patients, réfléchis, pleins de bon sens et de bonne volonté. Je pouvais d'autant moins les oublier que, si pendant la guerre je n'ai pas rencontré les régiments dont nous fêtons aujourd'hui le glorieux passé, du moins ai-je eu sous mes ordres, comme commandant de brigade, un autre beau régiment savoyard, le 97e alpin, dans les rangs duquel j'ai retrouvé au feu ces mêmes qualités que j'avais, en temps de paix, si vivement appréciées à Annecy. Et, lorsque je savais la 28e division ou la 74e engagées dans quelque grosse affaire, tout de suite je pensais à mon cher 30e ou à son frère, le 230e je me réjouissais de leurs succès et souffrais avec eux des pertes, parfois si lourdes, dont ils les avaient payés.
Chose curieuse ! bien qu'appartenant à des divisions différentes, l'action du 30e et celle du 230e fut souvent parallèles. Tous deux ont débuté dans les durs combats des Vosges, en août-septembre 1914, tous deux ont combattu à Verdun, au Chemin des Dames, en Champagne, en Lorraine. A Verdun ils ont connu de rudes secteurs, tous deux se sont couverts de gloire dans l'offensive du 24 octobre 1916 : le 30e a enlevé la batterie de Damloup, le 230e les lignes entre Douaumont et Vaux.
Dans l'ensemble ils n'ont connu que des succès, dans l'attaque comme dans la défense. Leurs très rares échecs ont été chaque fois imputables à des circonstances indépendantes de leur valeur: là un appui d'artillerie insuffisant, ailleurs des réseaux de fil de fer intacts. Dans cette longue épreuve de plus de quatre années, leur histoire ne peut pas noter une seule défaillance.
En revanche - et c'est là pour moi, vieux fantassin, le signe irrécusable de leur valeur foncière - les plus petits éléments, bataillons, compagnies, sections, engagés offensivement ou fixés dans la défensive, ont toujours fait preuve d'une énergie remarquable et d'une ténacité obstinée, et c'est ainsi qu'en toutes circonstances ils ont, sans forfanterie, mais avec une volonté calme et réfléchie, dominé l'adversaire, fût-il choisi dans les meilleures troupes de la Garde allemande. Les unités attaquées tiennent sans jamais se décourager, et cette fermeté têtue, bien savoyarde, fait qu'il se trouve toujours un élément du régiment pour arriver à temps, comme la 9e du 30e à Aubilly, le 30 mai 1918, et pour sauver la situation : ce jour-là le colonel Santos-Cottin en personne menait la contre-attaque, montrant ainsi que, pour un chef digne de ce nom, l'importance du résultat à obtenir l'emporte sur l'importance de l'effectif en jeu.
Une circonstance récente, une manoeuvre de passage de rivière m'a permis lundi dernier d'apprécier, sur le terrain même de leur exploit la manoeuvre habile des 4e et 6e bataillons du 230e sur l'Aisne, à Vaulx-les-Mouron le 9 octobre 1918, puis à Mouron le 14 octobre : actions qui leur ont valu des trophées magnifiques, 320 prisonniers et 47 mitrailleuses le 9, 481 prisonniers et 58 mitrailleuses le 14.
Et c'est ensuite l'enlèvement de la formidable position, dénommée le « Hunding Stellung », par le 30e RI, sous les ordres de mon cousin et ancien de Saint-Cyr, le lieutenant-colonel Longin. Cette attaque vaut au 30e sa quatrième citation.
Les trois autres ne sont pas moins glorieuses : la première commémore l'offensive de Champagne du 25 septembre 1915, l'enlèvement du Trou Bricot, une avance de 4 kilomètres, la capture de 1.500 prisonniers.
La deuxième rappelle la journée de la Malmaison, le 23 octobre 1917, l'enlèvement de la Vallée Guerbette et du Château de la Motte, avec 800 prisonniers et 3 canons, après une manoeuvre délicate de conversion exécutée avec méthode et précision.
La troisième signale la belle attitude du 30e dans les rudes combats de la vallée de l'Ardre, du 30 mai au 9 juin 1918, l'affaire d'Aubilly, dont j'ai déjà parlé, et la dure journée de Bligny, où le régiment, déjà très diminué par les actions précédentes, a tenu de 6 h. du matin à 17 heures, sous les assauts répétés de l'ennemi, sans perdre un pouce de sa position, au prix de la perte de 750 officiers, sous-officiers et soldats.
C'est que le 30e et le 230e se sont, toute la guerre durant, montrés fidèles à de vieilles et glorieuses traditions : audace et vigueur dans l'offensive, ténacité dans la défensive, voilà ce qu'on trouve au long de l'histoire des corps qui les ont précédés : Régiment du Dauphin, Régiment du Perche, 30e de ligne, 30e demi-Brigade d'Infanterie, 30e Régiment de ligne du corps Davout, que nous voyons mêlé à toutes les grandes batailles de l'Empire, Austerlitz, Auerstaedt, Eylau, Wagram, Smolensk, la Moskowa, dans la défense d'Hambourg, enfin 30e Régiment d'Infanterie de ligne, qui se distingua en Algérie et à Solférino.
Dans la grande guerre, les soldats des 30e et 230e n'ont pas été inégaux aux exploits de leurs aïeux ; ils ont, au contraire, ajouté à ce livre d'or les plus belles, les plus riches pages de gloire. Honneur aux deux Régiments !
Voltaire a dit un jour : On doit aux vivants des égards, et aux morts la vérité. Malgré l'autorité de ce nom, je vous dis à l'inverse : On doit aux morts des égards, et aux vivants la vérité.
C'est pourquoi, mes amis, m'autorisant de quelque expérience à mon âge et à des commandements exercés un peu partout, en Europe et audelà des mers, je vous dis avec toute l'affection d'un père à ses enfants : Dans la période difficile que nous traversons, inspirons-nous de l'exemple de nos morts, qui ont sauvé la France parce qu'ils ont été tout entiers à leur devoir. Nous nous occupons, en général, de trop de choses qui ne nous regardent pas. On ne remédie pas à une crise par des discours et une vaine agitation. La formule la meilleure est celle qu'ont appliquée nos camarades du 30e et du 230e : tout le monde à son poste et chacun à son travail.
A chaque jour suffit sa peine. Ne nous forgeons pas d'avance des inquiétudes inutiles, ne nous berçons pas non plus de trop douces illusions. Le devoir est de suivre sa route simplement, vigoureusement, en se disant qu'une nation forte et libre est surtout une oeuvre de volonté, d'intelligence, de persévérance, de sacrifice au besoin, une victoire perpétuelle remportée, à tous les instants, sur la paresse et le désordre. N'oublions pas que lorsque la volonté nationale faiblit, cède aux mauvaises tendances, de paresse et de désordre, c'est la décadence qui menace, la régression vers la décomposition et la barbarie.
Habituons-nous à ne pas nous payer de mots, à voir les choses telles qu'elles sont, à exiger et à dire la vérité.
Un grand écrivain anglais, Rudyard Kipling, a écrit cette forte maxime qui doit nous faire réfléchir : Il ne faut pas que les enfants meurent parce que leurs pères auront menti.
Nous ne voulons pas sacrifier nos enfants ; nous chercherons donc, en toute bonne foi et avec un courage tenace, la vérité et nous ne la laisserons pas masquer, nous la proclamerons sans ostentation, sans vaine bravade, mais avec fermeté, parce que nous sommes certains que c'est la vérité qui fera, demain comme hier, le prestige et la force de notre France bien-aimée.
Un illustre prélat, qui fut l'honneur de la Belgique pendant la guerre, le cardinal Mercier, a dit un jour : Certainement, la France est une grande nation, mais il faut qu'elle s'en souvienne pour le demeurer.
Souvenons-nous mes amis.
Souvenons-nous de nos morts, pour les honorer comme le mérite leur sacrifice et leur demander conseil dans nos heures de détresse ou simplement de doute. Souvenons-nous de nos souffrances, de nos angoisses et de nos sacrifices pendant la guerre et disons-nous, avec le grand Pasteur, que nul effort n'est jamais perdu, qu'il faut toujours lutter, toujours espérer, dans la paix, comme au combat : le succès échoit immanquablement au plus tenace.
Mais c'est assez parlé. La belle devise du Régiment du Dauphin :
Res proestant, non verba, fidem
Ce sont les faits, non les paroles, qui garantissent la loyauté, cette devise me rappelle à l'ordre.
Messieurs, mes amis, je lève mon verre au 30e et au 230e Régiments d'Infanterie, à leurs glorieux exploits, à leurs chefs valeureux, à leurs vaillants poilus, je bois à votre santé, à vos familles, à la belle Savoie, à notre France immortelle.
Ce discours est frénétiquement applaudi.
Au cours du banquet, le colonel Tapponnier a reçu le télégramme suivant :
Monsieur le Président,
Comme aux heures tragiques et glorieuses de la guerre, restons en liaison directe avec vous.
Faisons ce jour non pas un tir de barrage mais une salve d'applaudissements pour l'organisation et la belle réussite de votre fête. Au nom de tous les artilleurs du 54e vous apporte notre souvenir et notre fraternelle amitié.
F. ROUPIOZ,
Président de l'Amicale des anciens artilleurs des 54e et 254e R.A.C.

Le banquet est terminé ; les camarades poursuivent leurs causeries, heureux de se retrouver et d'échanger des souvenirs.
Nous félicitons les organisateurs de la fête pour sa parfaite réussite.

(Cette relation est extraite de l'Industriel Savoisien d'Annecy)