97e Régiment d'Infanterie


Catastrophe du Col d'Arrondaz le 22 décembre 1901

Épitaphe :
Le bataillon alpin du 97°
à la mémoire de
CHARAZ Sergent
GUILLON Soldat
DESGRANGES   "
PERINET   "
REBATEL   "
CHARLET   "

victimes de l'avalanche
du 22 décembre 1901

3° bis groupe alpin
la 12° batterie à leurs
camarades du bataillon


En aval de Termignon, situé à la bifurcation de la route du Mont-Cenis et du chemin du col de la Vanoise, clef des hautes vallées de l'Isère et de l'Arc, la vallée est barrée d'abord par les anciens forts de l'Esscillon en partie démantelés ; puis les ouvrages récents de la défense de Modane, les batteries du Replaton et du Sappey, permettent d'observer les débouchés du tunnel du Fréjus, la haute vallée de l'Arc, les passages aboutissant au pittoresque vallon de Charmaix, et spécialement le col du Fréjus, où un poste construit à 2500 mètres est desservi par une route de voitures qui, nous l'avons déjà dit, deviendra une voie de communication très appréciée des populations de la Maurienne et de la vallée de la Bardonnèche lorsque l'Italie voudra en poursuivre la construction sur son versant.
Depuis 1890,1 bataillon du 97e régiment d'infanterie, cantonne en été aux environs de Modane et forme, avec la 12e batterie du 2e d'artillerie et un détachement du 4e génie, le 3e groupe bis.
Une des plus graves catastrophes survenues aux vaillants gardiens de notre frontière des Alpes a eu pour théâtre, le 22 décembre 1901, le chemin du poste de Fréjus à Modane, elle fit six victimes : le sergent Charaz, les soldats Charlet, Guillon, Desgranges, Périnet et Rebatel.
C'était le dimanche précédant Noël. Il y avait lieu de faire un ravitaillement pour faire parvenir à leur destination les cadeaux envoyés par leur famille à l'occasion de Noël.
L'état atmosphérique était satisfaisant ; le chemin du col d'Arrondaz est balisé par les poteaux télégraphiques. Depuis plusieurs années que le poste est occupé, il ne s'est jamais produit d'accidents sur cet itinéraire ; enfin, trois jours avant, une compagnie entière était montée au Fréjus et en était redescendue sinon sans fatigue, du moins sans accident.
Dans ces conditions, le lieutenant Guillot était fondé à ne pas refuser ce ravitaillement, désiré par ses hommes.
Il organisa d'ailleurs le détachement avec une parfaite prudence ; il le composa de 11 hommes, le mit sous les ordres d'un sergent éprouvé, le sergent Charaz, et le répartit en trois groupes ; une avant-garde, un caporal et deux hommes ; au centre, un sous-officier et quatre hommes, puis une arrière-garde de trois hommes. Chacun de ces groupes convenablement espacés était à la corde.
On se mit en marche à dix heures du matin, pour arriver vers une heure aux Granges d'Arrondaz, point de rendez-vous des mulets venant de Modane.
Vers midi, les rois groupes descendaient les pentes du col d'Arrondaz, lorsque retentit un sinistre craquement sur la gauche, une avalanche s'écroule de la montagne, elle renverse et entraîne les deux derniers groupes et les recouvre de neige.
Le groupe d'avant-garde reste indemne ; il est seulement renversé par le vent de l'avalanche ; la corde qui réunissait les trois hommes s'accroche à un poteau téléphonique ; ils se dégagent ; l'un d'eux, le caporal, fortement meurtri, s'arrête un moment sur place ; les deux autres volent au secours des engloutis.
Dans le groupe du centre, un homme, le dernier de la corde, réussit à se dégager et se porte au secours d'un camarade qui n'avait que peu de neige sur lui et continuant à suivre la corde, les cinq échappés au désastre allaient tout au moins sauver leurs trois autres camarades du groupe du centre, lorsque, soudain il se produit sur la droite un nouveau craquement instantanément suivi d'une nouvelle avalanche qui, se croisant avec la précédente, recouvre d'une nouvelle couche de neige les malheureux chasseurs engloutis.
Que faire ? Cinq hommes à eux seuls ne pouvaient plus rien, mais le caporal, ne perdant pas la tête, tout meurtri qu'il était, se porte sur les chalets d'Arrondaz et annonce par téléphone au lieutenant Guillot ce qui vient de se passer.
Le lieutenant se montre digne du commandement qu'il exerce et prend aussitôt le parti de téléphoner à Modane pour demander du secours, puis, ne laissant que deux hommes aux postes, il part avec le reste de son détachement, et en une demi-heure, il arrive sur le lieu du sinistre.
Guidé par les deux hommes du groupe du centre qui avait échappé à la mort, il retrouva presque de suite les trois autres, mais il était trop tard ; les soins les plus éclairés prodigués avec le plus absolu dévouement ne purent les rappeler à la vie.
Jusqu'à dix heures du soir, on travaille sans relâche, mais sans succès, pour retrouver les trois hommes du groupe d'arrière-garde qui manquaient encore.
Vers trois heures un quart, le lieutenant-colonel de La Broye, commandant d'armes de Modane, reçut l'avis téléphonique du lieutenant Guillot.
Le 13e bataillon de chasseurs était arrivé le matin même de Lanslebourg à Modane ; le lieutenant-colonel de La Broye met au courant le commandant Sauret, du 13e bataillon ; celui-ci organise aussitôt un détachement de vingt-quatre hommes de bonne volonté, qui part sous les ordres du capitaine Arbey, accompagné de trois mulets porteurs d'outils, de brancards et de médicaments ; du médecin-major Bouffandeau, du 158e ; du lieutenant d'artillerie Chaffray, de deux gendarmes et d'une quinzaine de pompiers et d'habitants de Modane, qui offrent spontanément leur précieux concours.
Parti à cinq heures du soir, ce détachement arrive au chalet d'Arrondaz vers dix heures trente ; il relève les hommes épuisés du lieutenant Guillot ; il poursuivit son oeuvre jusqu'au lendemain lundi, dix heures du matin ; c'est inutilement qu'on ouvre près de cinq cents mètres de tranchée dans la neige ; on ne retrouve rien. Le temps devenant menaçant, le capitaine Arbrey dans le sage partie de redescendre, ramenant avec lui les trois cadavres retrouver et deux blessés.
En arrivant au Charmaix, le capitaine Arbrey rencontre le général de France, montant avec un détachement du 97e commandé par le capitaine Bergin, revenu le matin de Saint-Michel.
En présence des craintes manifestées par le capitaine Arbrey et des menaces atmosphériques, le général de France donne l'ordre de redescendre.
Le lendemain mardi, à trois heures et demie du matin, le capitaine Crépinet, du 12e bataillon d'artillerie à pied, part à la tête de trente hommes de sa batterie, volontaires et presque tous jeunes soldats, et arrive vers huit heures sur le lieu de l'accident. Grâce à des observations bien faites dans une reconnaissance opérée personnellement par lui la veille, il retrouva presque de suite un des cadavres. À ce moment arrive le détachement du capitaine Bergin, parti à quatre heures du matin de Modane. Les deux détachements travaillant ensemble découvrent rapidement les deux derniers cadavres et redescendent les trois corps à Modane.
Après de pareils efforts, dans lesquels officiers et soldats de toutes armes ont rivalisé d'ardeur, d'entrain et de dévouement, on a le droit d'être fier de cet admirable esprit de solidarité et on a le devoir de dire qu'on a tout fait pour arracher à la mort les victimes de la catastrophe d'Arrondaz, ainsi que le déclarait le général Zédé en leur rendant les derniers honneurs.
Au Pays des Alpins (pages 186 à 192), Henri Duhamel.


Chambéry, 23 décembre. - Un détachement de Modane signale un nouvel accident de montagne dont ont été victimes six soldats.
Un détachement de 11 hommes du 97e de ligne, faisant ravitaillement au mont Fréjus, a été surpris sous une avalanche. On signale six morts.
Les secours sont partis de Modane.
Le mont Fréjus et la montagne que traverse le tunnel de Modane à Bardonèche. Ce tunnel, improprement connu sous le nom de Mont-Cenis, à cause de l'hospice de ce nom, est en réalité le tunnel de Fréjus.
L'Indicateur de la Savoie
n° 1170 - samedi 28 décembre 1901.